Champagny, ruine et incendie du village

(16 – 17 janvier 1871)

 

C’est près de ce pauvre village de 120 habitants, situé au pied d’un coteau au sommet duquel passe la grande route de Paris, qu’eut lieu, le 30 novembre 1870, l’attaque des gardes- nationaux de Bligny contre une colonne allemande et le meurtre d’un habitant inoffensif de Poncey, Sirdey.

 

   Les Prussiens avaient déjà fait leur apparition à Champagny, le 29 novembre, pour y opérer une réquisition de bétail et de grains.

 

   Le lendemain, lors de l’attaque de la colonne ennemie, un berger, interpellé sur le fait qui venait de se produire, répondit aux prussiens :

 

« Ce sont des habitants d’un petit village situé au bas de la côte qui ont tiré sur vous. »

 

Et en s’exprimant ainsi, il montrait Champagny et le designait ainsi à la vengeance future de l’ennemi.

 

   Le 16 janvier 1871, mille hommes du régiment des Chasseurs de la Cour couchent à Champagny et en repartent le lendemain matin, sans que leur séjour donne lieu à aucune observation fâcheuse.

 

   Ce même jour 17 janvier, douze soldats prussiens du 34e de ligne, conduisant un troupeau de 750 moutons, avaient reçu l’ordre de coucher à Poncey. Situé près de la source de l’Ignon, ce village ne peut être facilement aperçu de la grande route ; aussi, les soldats dépassant l’embranchement et ne voulant plus retourner en arrière, descendirent à Champagny, et comme la nuit était déjà arrivée, ils prirent le parti de coucher dans cette commune. Ils étaient accompagnés d’un conducteur civil flamand qui, avec une voiture attelée de deux chevaux, transportait leurs bagages.

 

   Les moutons furent parqués dans un verger, clos de murs, situé au milieu du village, et les soldats logèrent chez les habitants.

 

   Avertis de ce qui se passait à Champagny, les francs-tireurs cantonnés à Saint Seine, à 4 kilomètres de là, résolurent d’enlever les moutons et de faire les hommes prisonniers.

 

   Douze volontaires se hâtent de tenter l’expédition et arrivent à Champagny vers 7 heures du soir. Ils se rendent d’abord au verger où était parqué le troupeau ; il n’était pas gardé et s’en emparent. Puis ils requièrent 4 hommes du village pour le conduire à Saint Seine, ainsi que la voiture de bagages attelée de ses deux chevaux.

 

   Tout cela se fit en un clin d’œil et sans que les Prussiens qui étaient déjà couchés eussent le moindre soupçon.

 

   Deux Allemands logés chez Petitot et deux autres chez Brenot sont surpris et se rendent à la première sommation qui leur est faite.

 

Les autres, avertis de la surprise, se mettent en état de défense et se disposent à la résistance en barricadant les portes des maisons où ils étaient logés. La fusillade éclate et après une lutte de quelques instants, les Prussiens prennent la fuite. L’un d’eux reçoit un coup de feu dans le flanc droit et tombe sur le coup. On le croit mort, mais il n’était qu’évanoui, et quelques heures après, il put rejoindre ses camarades à Chanceaux.

 

   A 9 heures du soir, le village est envahi par une centaine d’ennemis. Toutes les maisons sont fouillées, et les Prussiens, irrités de ce qu’ils considèrent comme un véritable guet-apens, emmènent de force et avec brutalité sur la place publique, tous les hommes de la commune, même les malades et les infirmes, à moitiés vêtus, grelottant de froid, de la fièvre et de la peur, car ce cri sinistre retentissait à leurs oreilles : « Capout, tous fusillés ! »

 

  Cette triste caravane composée de 29 hommes, tout ce que le pays renfermait, se met en marche à 11 heures du soir, par une nuit épouvantable, avec un froid de plus de 15 degrés au-dessous de zéro, pour Chanceaux, où se trouvait la colonne prussienne.

 

  Ce trajet de 8 kilomètres, sur une route couverte de verglas, par une bise glaciale, fut pour quelques-uns de ces malheureux, un véritable martyre. Pris à l’improviste, les uns avaient des sabots plats; d’autres étaient nu-pieds dans de gros souliers en mauvais état ; un autre avait un soulier et un sabot ; enfin, Loreau, souffrant d’une chaussure trop étroite, fut obligé de faire la route pieds nus ; Un vieillard, affligé de varices, ne pouvait marcher qu’avec la plus grande difficulté ; il avait grand’peine à suivre la colonne ; aussi le canon et la crosse du fusil prussien venaient l’exciter et l’obliger à de nouveaux efforts. Une femme qui n’avait pas voulu quitter son mari, une jeune fille qui s’était attachée au cou de son père, furent emmenées de force avec les autres captifs et on ne leur rendit la liberté qu’à Chanceaux où le triste convoi arriva à 1 heure du matin.

 

   Les prisonniers furent entassés dans la salle d’école, sans feu, sans paille, sans nourriture.

 

  A 9 heures du matin, ils sont confrontés avec le soldat prussien blessé qui respirait encore et qui faisait connaitre ses impressions sur chacun des captifs à un major qui transmettait les dires d blessé au colonel.

 

  Accusés d’avoir prévenu les francs-tireurs et d’avoir été de connivence avec eux dans la surprise du coup de main de Champagny, le commandant était sur le point de donner des ordres pour l’exécution capitale des 29 captifs. L’heureuse intervention du maire de Chanceaux, M. Siméon, fit modifier cette résolution. Ce magistrat plaida avec énergie en faveur de ses concitoyens ; il démontra au colonel prussien qu’ils n’étaient pour rien dans l’affaire de Champagny et obtint le retrait de la terrible sentence de mort.

 

  Dans l’après-midi, les prisonniers quittèrent Chanceaux, sous bonne escorte, et furent dirigés sur Is-sur-Tille par la grande route. Arrivés à la bifurcation, à l’endroit où l’on quitte Champagny de vue, le commandant fit ranger les 29 malheureux, qui ignoraient qu’on leur avait fait grâce de la vie, sur un terre-plein un peu élevé, commanda qu’on les mît en rang et leur annonça que leur dernière heure était arrivée. Puis, le peloton d’exécution s’avança et tous les mouvements qui précèdent la mort de ceux qui vont être passés par les armes furent exécutés.

 

  Raffinement de cruauté et de barbarie qui dénote que chez l’Allemand tout est froidement calculé en vue de répandre la terreur dans le pays envahi.

 

  Ce simulacre opéré, le commandant s’approcha des malheureux plus morts que vifs, leur fit une allocution et leur dit qu’il tenait leur vie entre ses mains ; que les lois de la guerre lui donnaient le choix d’en disposer à son gré, mais que voulant faire acte d’humanité, il leur laissait la vie sauve.

 

  Un acteur de cet épouvantable drame raconte que le commandant termina son discours par ces paroles, prononcées lentement, cruellement, en articulant sur chaque mot : « Reconnaissez maintenant la faute que vous avez commise en vous alliant aux francs-tireurs ; réfléchissez sur les suites fâcheuses et funestes qui en résultent…. Tournez les yeux vers Champagny… Voyez… si votre village ne brûle pas… ? »

 

  En effet, une troupe de Teutons, partie le matin de Chanceaux, avait reçu l’ordre de mettre tout à feu et à sac à Champagny. L’œuvre de vandalisme fut vite accomplie : les soldats entraient dans les maisons, s’emparaient des objets qui leur convenaient, faisaient sortir les bestiaux des écuries et incendiaient les maisons. Leur œuvre de destruction put s’accomplir d’autant plus facilement qu’il n’y avait pas un homme au village et que les femmes et les enfants s’étaient réfugiés dans les bois.

 

  Le commandant prussien avait donc bien préparé son coup de théâtre.  Un cri d’angoisse inexprimable s’échappa de la poitrine des malheureux prisonniers ; leur village était en feu ; du point culminant où ils étaient placés, ils ne voyaient que trop bien les tourbillons de fumée noire qui s’élevait de leurs foyers dans les airs et qui annonçaient un désastre complet.

 

  Dépeindre la douleur de ces pauvres gens serait impossible ; les pères songeaient à leurs femmes, à leurs enfants ; les jeunes gens à leurs vieilles mères, à leurs sœurs ; tous étaient frappés de stupeur en songeant qu’ils ne reverraient plus la maison où ils étaient nés, où ils avaient grandi, où ils espéraient mourir ; ainsi s’envolait en fumée le fruit de tant d’années de travail ; ils étaient du coup réduits à la plus affreuse misère, et ils ne savaient rien du sort des êtres qui leur étaient les plus chers ici-bas .

 

  Absorbés dans ces tristes et navrantes pensées, ils en furent tout à coup distraits par le voix du chef de la colonne qui leur intima l’ordre de reprendre leur marche et de suivre l’armée. Ils furent sévèrement gardés à vue jusqu’à Dienay. Là, l’officier qui conduisait les prisonniers, commença à rendre la liberté à quelques-uns ; à Is-sur-Tille, ce fut le tour de plusieurs autres ; à Foncegrive, les derniers purent s’acheminer aussi vers Champagny.

 

Le retour ne s’effectua pas sans danger, car toujours cruels, les Allemands avaient congédié les prisonniers sans leur délivrer de laisser-passer. Aussi bien, les malheureux menacés à chaque pas d’être arrêtés, se jetèrent à travers champs, et par les sentiers de la montagne, finirent par arriver, après des souffrance inouïes, à leur malheureux village qu’ils trouvèrent totalement dévasté, réduit en cendres.

 

  Telle a été cette affaire de Champagny ; elle sera la honte éternelle de nos durs vainqueurs qui se sont vengés sur des innocents d’une surprise qui n’aurait pas eu lieu s’ils avaient su mieux se garder et se défendre.

 

  18 maisons d’habitation avec les bâtiments d’exploitation, les écuries, les granges, furent complètement anéanties.

 

  A la première nouvelle du désastre qui leurs concitoyens, les habitants des communes voisines, notamment ceux de Saint Seine et de Saint-Martin-du-Mont, s’empressèrent d’apporter à Champagny : linge, vêtements, literie, aliments, afin de parer aux premiers besoins.

 

  D’autres secours arrivèrent plus tard : l’Etat donna 44,000 francs ; l’œuvre du sou des chaumières 8,000 francs ; l’Evêché, 1,700 francs, pour aider les habitants à reconstruire leur village.

 

  Un don de 6,000 francs fut aussi fait dans ce but par un riche américain. M. le Préfet d’alors fut chargé d’en opérer la répartition et se transporta à cet effet à Champagny.

 

  La distribution était terminée, lorsque des personnes vinrent implorer un nouveau secours de la bienveillance du premier magistrat du département. Celui-ci, profondément touché de la grande misère de ces braves gens, tira son porte-monnaie des a poche et le vida complètement en disant : « Mes amis, je vous donne tout ce que j’ai sur moi. Si ce soir, l’on ne veut pas me faire crédit à l’hôtel, et bien ! je me passerai de diner. Je suis heureux de pouvoir contribuer à adoucir votre malheureuse position ; je serais encore bien plus heureux, s’il était en mon pouvoir de vous donner d’avantage ! »

 

 

 

Extrait de ¨Histoire de la Guerre de 1870-1871 dans la Côte d’Or¨

 

Par GAUDELETTE